Tout le peuple s’est massé sur la place, au centre d’Hyperpolis. Fébrile et impatient, il attend le Prince. L’heure est grave : la Bourse hésite, la décroissance menace, le Marché piétine. Une rumeur, un brouhaha : voici la voiture grise d’Abracadabrus. Telle un bateau, elle avance parmi la foule, dans le silence et le brouillard. Hermétique, anonyme et sécurisée. Au milieu de la place, au pied de la Grande Tour, le véhicule s’immobilise. Une porte s’ouvre, un petit homme replet en sort : c’est Lui. On ne voit pas bien son visage : Abracadabrus porte un masque, il respire un gaz enrichi. Grave et soucieux, il pénètre rapidement la Tour. Aspiré par un tube-ascenseur vertigineux, le Prince-Obus resurgit quelques secondes plus tard au sommet. Un reflet lointain apparaît dans la sphère de verre. Transparente et isolante. Tout en haut, vers l’abîme de la plèbe, le Prince-Communicator va parler. La coupole s’éclaire, un texte-hologramme se projette, la foule retient son souffle. Abracadabrus ne parle jamais la langue de son peuple. Il entend être écouté par les Grands de ce Monde, au risque d'être incompris par les siens. Dear
Shareholders, Des écrans
s’allument, des lettres s’embrasent. Le Prince Ténébreux attend.
D’instinct, la foule
comprend. Les yeux baissés, la voix sourde et soumise, elle répète :
continuously…
continuously… continuously…
Le Prince-Imperator lève
la main. Il suffit. Dear
Shareholders, Silence et lumière. Conquise par cette perspective, la foule guerrière répète avec force : continuously… continuously… continuously… Effrayé,
Candide s’interroge : à quoi bon les conquêtes,
quand le Royaume couvre la moitié du Globe? A quoi bon le profit, quand
on est riche? Quel cancer ronge donc les âmes de ce Prince et de ces
gens ? Le Guide se raidit, il
salue le Peuple de son bras Droit. Dans un air opaque mêlé de Sang, un drapeau Noir et Blanc flotte. Dear
Shareholders, A ces paroles, la foule affamée exulte. Elle entre dans la transe et scande : Des frigos ! … continuously… Des autos ! … continuously… Des mobiles ! continuously … Attristé,
Candide réfléchit : ces hommes pensent-ils sérieusement
trouver le Bonheur dans une machine ? Seraient-ils les esclaves de leurs
désirs ? Ovations. Avec le sourire du vainqueur, le Timonier Suprême salue le Peuple-Stade de son bras Gauche. Un drapeau Rouge et Or monte au ciel, claque dans le vent de l’Histoire. Il annonce le Grand Soir, le grand soir des lendemains qui déchantent. Lucide, Candide philosophe : me voilà débarrassé des illusions dangereuses. Je retourne au pays des Arbres et du Vent, de l’Océan et des Etoiles. Je retourne à mon jardin, au milieu des Oiseaux. Je retourne croiser le regard de mon chien et réchauffer mon cœur. Je retourne à la Paix. Tandis que Candide tourne le dos, les trompettes résonnent, les trompettes de l’Apocalypse. Un soleil Noir tourne et fait basculer le Ciel, trois Anges percent la Nuée.De leur main Gauche,
ils désignent les Géants : Fuyez,
Princes et Machiavels, De leur main Droite, ils accueillent les Innocents : Heureux
les Doux et les Simples, A ces mots, les Géants
se transforment en statues de Sel. Mille fêlures parcourent leur corps,
Mille fissures lézardent leurs Tours. Dans un énorme fracas, les
Colosses s’effondrent, de la tête aux pieds. Il ne reste qu’un amas
de poussière grise. Tout est fini. Un arc de couleur apparaît dans le Ciel. Derrière les Nuages, des Innocents glissent. —————— Toute
ressemblance avec des œuvres existantes est délibérée. Copy
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